Extraits

Extrait: L'incipit de "Meursault contre-enquête"

«Aujourd'hui, M'ma est encore vivante. Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter bien des choses. Contrairement à moi, qui, à force de ressasser cette histoire, ne m’en souviens presque plus.» (p. 11)

Ça vous rappelle quelque chose? 


Le romancier Kamel Daoud

Article et extraits: Kamel Daoud menacé en Algérie

Savez-vous que l'écrivain algérien Kamel Daoud est menacé de mort en son pays? Que des professeurs et des enseignants de langue arabe protestent contre ses écrits et ses déclarations? Que le cheikh Abdelfatah Hamadache, chef du parti non agréé du Front de la Sahwa islamique salafiste libre, appelle le gouvernement algérien à le mettre à mort?

Voici les liens des vidéos où les adversaires de Kamel Daoud expliquent leur position (c'est dommage pour nos lecteurs non arabophones car les interlocuteurs parlent en arabe). Voici aussi en bas de page des citations de "Meursault contre-enquête" ayant pu générer ce conflit. Et vous qu'en pensez-vous?

La vidéo où Hamadache expose son avis: http://youtu.be/mMRetIfHVwU

Les opinions des professeurs et enseignants de langue arabe: http://youtu.be/LkPmzQ1arC8

Des citations qui m'ont laissée perplexe lors de la lecture de "Meursault contre-enquête":

« Un jour, l’imam a essayé de me parler de Dieu en me disant que j’étais vieux et que je devais au moins prier comme les autres, mais je me suis avancé vers lui et j’ai tenté de lui expliquer qu’il me restait si peu de temps que je ne voulais pas le perdre avec Dieu.» (p. 150)

« Je suis parfois tenté [de] (…) grimper [au « minaret hideux qui provoque l’envie de blasphème absolu en moi »], là où s’accrochent les haut-parleurs, de m’y enfermer à double tour, et d’y vociférer ma plus grande collection d’invectives et de sacrilèges. En listant tous les détails de mon impiété. Crier que je ne prie pas, que je ne fais pas mes ablutions, que je ne jeûne pas, que je n’irai jamais en pèlerinage et que je bois du vin – et tant qu’à faire, l’air qui le rend meilleur. Hurler que je suis libre et que Dieu est une question, pas une réponse et que je veux le rencontrer seul comme à ma naissance ou à ma mort. (...) Moi, c'est toute une meute de bigots qui est à mes trousses, qui essaie de me convaincre que les pierres de ce pays ne suent pas que la douleur et que Dieu veille. Je leur crierais qu'il y a des années que je regarde ces murailles inachevées. Qu'il n'y a rien ni personne que je connaisse mieux au monde. (...) Tu imagines la scène? Moi, beuglant dans le micro, pendant qu'ils essaient de fracasser la porte du minaret pour me faire taire. Ils tenteraient de me faire entendre raison, me diraient, affolés, qu'il y a une autre vie après la mort. Et alors, je leur répondrais: "Une vie où je pourrai me souvenir de celle-ci!"  Et là, je mourrais, lapidé peut-être, mais le micro à la main.» (pp. 149-150)

« Peut-être, il y a bien longtemps, ai-je pu entrevoir quelque chose de l’ordre du divin. (…) [« Ce visage»] était celui de Meriem. » (p. 150)

Et vous qu'en pensez-vous?

Extrait: Kamel Daoud critique l'écriture d'Albert Camus


Dans son roman Meursault, contre-enquête, Kamel Daoud, journaliste et auteur algérien d'expression française, critique l'écriture d'Albert Camus, et évoque notamment L'Etranger:

"Comme tous les autres, tu as dû lire cette histoire telle que l'a racontée l'homme qui l'a écrite. Il écrit si bien que ses mots paraissent des pierres taillées par l'exactitude même. C'était quelqu'un de très sévère avec les nuances, ton héros, il les obligeait presque à être des mathématiques. D'infinis calculs à base de pierres et de minéraux. As-tu vu sa façon d'écrire? Il semble utiliser l'art du poème pour parler d'un coup de feu! Son monde est propre, ciselé par la clarté matinale, précis, net, tracé à coups d'arômes et d'horizons. La seule ombre est celle des "Arabes", objets flous et incongrus, venus "d'autrefois", comme des fantômes avec, pour toute langue, un son de flûte" (pp.12-13).

Que pensez-vous du rapport Camus-Daoud? Comment trouvez-vous l'écriture camusienne dans  L'Etranger?

Extrait: Kamel Daoud réquisitionne le crime et appelle à l'amour

"Quand j'ai tué, donc, ce n'est pas l'innocence qui, par la suite, m'a le plus marqué, mais cette frontière qui existait jusque-là entre la vie et le crime. C'est un tracé difficile à rétablir ensuite. L'Autre est une mesure que l'on perd quand on tue. Souvent, depuis, j'ai ressenti un vertige incroyable, presque divin, à vouloir -du moins dans mes rêveries- tout résoudre, en quelque sorte, par l'assassinat. La liste de mes victimes était longue. D'abord commencer par l'un de nos voisins autoproclamé "ancien moudjahid" alors que tous savent que c'est un escroc doublé d'une crapule, qui a détourné à son profit l'argent des cotisations de vrais moudjahidine. Puis enchaîner sur un chien insomniaque brun, maigre, à l'oeil fou, traînant sa carcasse dans ma cité; ensuite, cet oncle maternel qui, à chaque Aȉd, après la fin du ramadan, est venu, pendant des années, nous promettre de rembourser une ancienne dette, sans jamais le faire; enfin, le premier maire de Hadjout qui me traitait comme un impuissant parce que je n'avais pas pris le chemin du maquis comme les autres. Cette pensée devint donc familière, après que j'ai tué Joseph, et que je l'ai jeté dans un puits manière de parler bien sûr, puisque je l'ai enterré. A quoi bon supporter l'adversité, l'injustice ou même la haine d'un ennemi, si l'on peut tout résoudre par quelques simples coups de feu? Un certain goût pour la paresse s'installe chez le meurtrier impuni. Mais quelque chose d'irréparable aussi: le crime compromet pour toujours l'amour et la possibilité d'aimer. J'ai tué et, depuis la vie n'est plus sacrée à mes yeux. Dès lors, le corps de chaque femme que j'ai rencontrée perdait très vite sa sensualité, sa possibilité de m'offrir l'illusion de l'absolu. A chaque élan du désir, je savais que le vivant ne reposait sur rien de dur. Je pouvais le supprimer avec une telle facilité que je ne pouvais l'adorer- ça aurait été me leurrer. J'avais refroidi tous les corps de l'humanité en en tuant un seul. D'ailleurs, mon cher ami, le seul verset du Coran qui résonne en moi est bien celui-ci "Si vous tuez une seule âme, c'est comme si vous aviez tué l'humanité toute entière"". (p. 101)

Article et extrait: Qui d'entre nous n'a pas été victime de la diffusion  des informations sur Internet?


« La cause des femmes ! La cause des gays ! J’en ai marre de ces agités qui s’excitent pour des combats déjà gagnés… » (p. 81), s'exclame en un élan théâtral Simon Laroche, rapporteur de la Commission des Libertés Publiques subventionnée par l'État. Le personnage de L'Ordinateur du Paradis de Benoît Duteurtre ne sait pas qu'il est filmé à son insu, alors qu'il dit cette phrase. Depuis, la vidéo court sur Internet et occasionne à Laroche des demandes de démission. Cet intellectuel renommé se voit d'un jour à l'autre piégé dans un engrenage infernal.

Qui d'entre nous n'a pas été victime de la diffusion des informations privées sur Internet? Qui n'a pas été touché par les flèches de la mondialisation? Que pensez-vous de la mondialisation et d'Internet? Les trouvez-vous bénéfiques ou maléfiques?


Extrait: Comment trouvez-vous l'image de l'Arabe dans L'Ordinateur du Paradis?


Dans L'Ordinateur du Paradis, Benoît Duteurtre évoque un élève français, Red, avant de parler de son ami, Darius.



"Quant à son copain Darius, grand brun au torse athlétiquement découpé, l’air sceptique et rêveur face au monde qui l’entourait, il était l’aîné d’une famille irakienne émigrée après l’invasion américaine. (…) Sauf que depuis l’âge de quatorze ans, les deux amis pensaient davantage à plaisanter qu’à obtenir de bonnes notes, à faire du mauvais esprit qu’à étudier leurs cours, à briller au club théâtre plutôt qu’en mathématiques". (p. 88)

Extrait: Clara Dupont-Monod se désiste de la réalité historique dans Le Roi disait que j'étais diable

"L'Histoire laisse tant de zones blanches qu'elle permet la légende, mais aussi le roman. Dans celui-ci, les prises de liberté sont nombreuses (un exemple: Aliénor fit de l'abbaye de Fontevraud son refuge, elle était donc beaucoup plus pieuse que dans ce livre). Les emprunts à la psychologie moderne ne manquent pas. Que les historiens ne jugent ces libertés ni blasphématoires, ni hors de propos, mais bien comme le plein exercice de l'imagination qui s'enchante à combler les vides, en prenant appui sur l'armature chronologique" (chronologie, pp. 227-228). 

Extrait: L'Histoire est vivante et accélérée dans Le Roi disait que j'étais diable de Clara Dupont-Monod


« Je t’ai sacrifié l’abbé Suger. Je l’ai écarté du pouvoir. J’ai promu ses ennemis. Mathieu de Montmorency a été nommé connétable. Raoul de Vermandois a repris sa charge de sénéchal. Mon chancelier, proche    de  Suger, a  été  évincé. A  la  place, j’ai pris Cadurc. Tu   m’as soufflé son nom. Un jeune clerc ambitieux, assoiffé de pouvoir, que Suger déteste. Tu vois, ma princesse aux poings serrés, je creuse ma  tombe avec  soin. J’ose même l’impensable. Je l’avais prédit. Je m’oppose à l’autorité la plus  haute, celle du pape. Il  a  reconnu    l’élection du nouvel archevêque de Bourges. Mais sur tes conseils, je conteste ce choix et lui oppose Cadurc. Le pape est très surpris. Et  furieux. Dans une lettre sèche, il me compare à « un enfant dont l’éducation reste  à faire ». On m’a rapporté que Bernard de Clairvaux aussi allait m’écrire, pour  m’expliquer combien je le déçois. Je sais que je risque l’excommunication. Bien sûr que j’en suis conscient! Je frôle mon anéantissement, j’effleure mes dernières barrières. Qu’ai-je à perdre désormais ? Plus rien. Qu’ai-je à y gagner ? Un peu de ta considération. Je laisse l’abbé Suger, le pape et Bernard de Clairvaux, mes pères, parler de caprice,d’immaturité, d’obstination idiote. Personne ne sait que derrière chacune de ces trahisons, que j’ai soigneusement orchestrées comme on règle les derniers détails de sa mort, il y a, tapi dans l’ombre de ma chute, l’espoir fou que tu me regardes » (p.106) 


Extrait: De saisissantes descriptions de sentiments dans Le Roi disait que j'étais diable de Clara Dupont-Monod (2)

"Hélas, Louis me fait honte. Il est derrière moi. Il porte la cotte grise des pénitents. A ses pieds, de simples sandales. Un pèlerin. Extatique, il embrasse une petite croix de bois pendue à son cou. Son regard est d’un bleu transparent, lavé par les sermons. Je n’ose même pas imaginer le spectacle qu’il offre. Par moi, il a goûté à la haine. Par lui, j’ai découvert la honte. Quel magnifique couple nous formons ! J’aurais tant donné pour marcher à côté d’un roi. Qu’un monarque porte une couronne et un manteau d’hermine, est-ce trop demander ? Maudits soient ces abbés qui effacent les êtres ! J’avance et j’observe les réactions : admiration pour moi, effarement quand on comprend que l’ermite, c’est le roi. Parfois il tente un pas de côté pour se joindre à la foule. Les sergents le ramènent doucement vers le cortège royal. Je surprends des visages hilares. Ah, si je pouvais me retourner et fouler aux pieds ce mari incapable de tenir son rang ! Plus loin devant, les mitres étincellent. L’abbé Suger a lancé des centaines d’invitations. C’est un festival de broderies, d’orfroi, de couleurs. Même les chevaux ont des robes de brocart. Et parmi ce luxe, qui est bien la seule chose que j’apprécie en l’Eglise, il y a une erreur, mon mari." (p. 150) 

Extrait: Une prose poétique dans Le Roi disait que j'étais 

diable de Clara Dupont-Monod

La voici, celle qui possède dix fois le royaume de France. Celle qui donne des ordres, chevauche comme un homme et ne craint pas le désir qu'elle suscite. Qui colore ses robes. N'attache pas ses cheveux. Porte des souliers pointus. Qui donne l'argent du royaume à des poètes venus d'en-bas. La petite-fille de ce fou de Guillaume, sorcière qui a grandi en écoutant des textes obscènes, tandis que le roi, ce sage, s'est nourri des phrases sacrées. Je suis le poison, la faute, l'immense faute de Louis. "Il n'aime qu'elle, il ne voit qu'elle". Oh, je le sais. (p. 59)

Extraits: "Notes sur les poèmes cités" du Roi disait que j'étais diable de Clara Dupont-Monod

J’aime fort qu’elle me rende fou 
Qu’elle me laisse là, nez levé 
Qu’elle rie de moi, qu’elle me bafoue
Autant en public qu’en privé.
Après le mal viendra le bien, 
Je n’attends que son bon plaisir.  
Hélas d’amour je n’ai gagné 
Que des tortures et des angoisses 
Mon désir s’élance vers vous 
Mais il ne peut pas vous atteindre 
Et rien ne me fait plus envie 
Que ce qui s’éloigne de moi. 

Extraits de la Chanson de Cercamon. Ce jongleur était originaire de la Gascogne. Il fréquenta les cours du Poitou et du Limousin. Il nous reste de lui sept poèmes, qu’il composa entre 1135 et 1145.


Sire, dit la paysanne
L’homme encombré de folie 
Jure, promet et s’engage
Mais de semblables hommages 
Ne donnent pas droit d’entrée  
Je garde mon pucelage 
Nul ne me dira putain !  

Pastourelle de Marcabru. Jongleur et gascon, comme Cercamon, il était un enfant trouvé. Il résida dans plusieurs cours du midi de la France ainsi qu’en Espagne. Il nous reste de lui 45 pièces, composées entre 1129 et 1150, dont sa raillerie  à l’encontre de Louis VII:

Haut et grand, branchu et feuillu, 
De France en Poitou parvenu, 
Sa racine est méchanceté 
Par qui Jeunesse est confondue… 

Avec cette chanson, Marcabru se serait vengé d’avoir été chassé par Louis VII, ce dernier étant jaloux des strophes enflammées consacrées à Aliénor.


Elle peut m’inscrire en ses livres, 
Ne croyez pas que je sois ivre, 
Désir de ma dame me tient
Sans elle je ne peux pas vivre. 
De son amour j’ai si grand faim.  

Chanson de Guillaume de Poitiers, le grand-père d’Aliénor d’Aquitaine. Né en 1071,       il est le premier troubadour connu. Dans ses chansons, il posa les bases de l’amour courtois. Dans la vie,  il fut excommunié plusieurs fois par l’Église, en raison de ses mœurs libertines et de son appétit guerrier.


Jamais d’amour je ne jouirai 
Si je ne jouis de cet amour lointain 
Je voudrais, pour elle, 
Être appelé captif là-bas 
Au pays des Sarrasins.  

Chanson de Jaufré Rudel, parmi les six conservées. Celle-ci fait référence à la            deuxième  croisade  dont  
Jaufré  Rudel faisait   partie. La  légende  raconte  qu’il  s’engagea   auprès  de  Louis VII pour aller   retrouver   Hodierne, princesse  de  Tripoli,  qu’il aimait sans avoir jamais vue, et qu’il mourut dans ses bras en arrivant au port.


A l’entrée du temps joli
Pour réveiller l’allégresse 
Et assombrir le jaloux 
La reine a voulu montrer 
Comme elle est amoureuse.  

Ballade anonyme, du XIIe siècle. La ballade était une poésie « à danser », le plus                     
souvent           dès           le         mois                d’avril,           avec       le           printemps. On         la      chantait          en       plein      air, à        voix       nue,   
en faisant une ronde.


En un verger sous la fleur d’aubépine
La Dame tient près d’elle son ami 
Le guetteur crie que le soleil se lève
Mon Dieu, mon Dieu, comme l’aube vient tôt ! 
Gracieuse elle est cette dame, et plaisante 
Pour sa beauté l’admirent maintes gens, 
Et      son cœur sait ce qu’est l’amour loyal
Mon Dieu, mon Dieu, comme l’aube vient tôt ! 
Qu’il plaise à Dieu que la nuit s’éternise, 
Que mon ami ne s’éloigne de moi 
Que le guetteur ne voie poindre le jour. 
Mon Dieu, mon Dieu, comme l’aube vient tôt ! 

Cette aube (chant du matin) est anonyme. Ecrite probablement au xiie siècle, elle est considérée comme une des plus belles de la poésie provençale.Elle se rattache à la canso (chanson), qui fonde la lyrique occitane.  

Ces informations sont extraites de Poésie des Troubadours, Anthologie, préface et choix d’Henri Gougaud, Seuil, Point Poésie, 2009. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire