Critiques littéraires

Critique littéraire: Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud: Histoire d’un crime, hymne à l’amour

L'auteur et son oeuvre

«Aujourd'hui, M'ma est encore vivante. Elle ne dit plus rien, mais elle pourrait raconter bien des choses.» (p. 11)

Il a fallu attendre 71 ans pour que Haroun, frère de «lArabe» tué dans L’Étranger (1942), donne enfin la réplique à Meursault, le meurtrier de son frère. Dans Meursault, contre-enquête (Arles, Actes Sud, 2014), Haroun nous livre sa propre vision des faits.


Un parallélisme troublant avec l'œuvre de Camus s'annonce dès les premières lignes du récit. En effet, Kamel Daoud, auteu

r de nouvelles algérien dont Meursault, contre-enquête est le premier roman, n'hésite pas à reprendre la structure, voire des passages entiers de L'Étranger, en intégrant les désinences arabes à son œuvre, octroyant à cette dernière une sorte de couleur locale: «M'ma»«zoudj» (p. 13), «chahid» (p. 15), «ouled» (p. 19)...

Contrairement à L'Étranger, où la mort de la mère est annoncée dès l'incipit, ici, «M'ma» est un personnage «trop présent». Face à la fade, simple et quasi-muette mère de L'Étranger, se dresse ici une femme logorrhéique, une tragédienne en puissance, s'autoproclamant « mère [du] martyr » Moussa (p.23). Elle élève Haroun dans la surprotection et la haine des «étrangers» qui ont tué son fils aîné. Cette mère dévoratrice émascule le fils qui lui reste : elle en fera un homme craintif, effacé, inapte envers les femmes, bizarre aux yeux de ses voisins  Haroun tente de fuir la logorrhée maternelle en apprenant une langue qui ne sera qu'à lui seul. La logorrhée de la mère ne serait calmée ni sa voracité rassasiée que lorsque Haroun l'aurait vengée.

Le romancier Kamel Daoud
Beaucoup de points communs peuvent être retrouvés entre L’Étranger et Meursault, contre-enquête : le mutisme final de la mère et la sorte dasile où elle passe ses derniers jours ; le narrateur qui ne connait pas l’âge de sa génitrice, qui lui rend des visites de plus en plus rares et qui parle déjà de son enterrement ; l’évocation du café au lait ; la haine du jour de congé (dimanche chez Camus, vendredi chez Daoud ; remarquez le passage aux coutumes musulmanes).

Pourtant, les « correspondances » entre les deux œuvres sont parfois beaucoup plus explicites: Daoud reprend des syntagmes, des phrases, et même des passages entiers de L’Étranger en les adaptant à la couleur locale algérienne « Un jour, limam a essayé de me parler de Dieu en me disant que j’étais vieux et que je devais au moins prier comme les autres, mais je me suis avancé vers lui et jai tenté de lui expliquer quil me restait si peu de temps que je ne voulais pas le perdre avec Dieu.» (p. 150) « Aujourdhui, Mma est encore vivante.»

Lauteur se laisse même aller quelquefois à faire des allusions, des références, voire des critiques littéraires de L’Étranger. Camus « écrit si bien que ses mots paraissent des pierres taillées par lexactitude même. () Son monde est propre, ciselé par la clarté matinale, précis, net, tracé à coups darômes et dhorizons. » (p. 12)

Le texte de Daoud évoque même dautres œuvres de Camus, notamment Caligula, lempereur fou, et le mythe de Sisyphe « labsurdité de ma condition () consistait à pousser un cadavre vers le sommet du mont avant quil ne dégringole à nouveau, et cela sans fin. » (p. 57)

Ces passages, censés enrichir l’œuvre de Daoud, pourraient rebuter le lecteur qui les trouverait trop longs, trop répétitifs Il en est de même pour le passage où Haroun plaint son frère Moussa dans lincipit, qui pourrait, lui aussi, sembler trop étendu. Pourtant, ces obstacles sont rapidement dépassés, le style gagnant en fluidité et en verve à mesure que l’écriture avance. Il semblerait que lauteur se serait laissé emporter par son imagination et son flot langagier une fois passées les premières pages. Un lecteur traditionnel serait dépaysé, voire désemparé, face à labsence de chronologie. En effet, le récit est formé d’épisodes, souvent distanciés dans le temps et lespace ; et le lecteur pourrait lire chaque chapitre et même chaque épisode, indépendamment de lautre. Mais ici, ce nest quune question dhabitude.

Nous reconnaissons le journaliste révolté Kamel Daoud à ses longs questionnements sur la foi, la mort, le crime, lamour et la langue elle-même. Haroun ne dit-il pas Je suis parfois tenté [de] (…) grimper [au « minaret hideux »], là où s’accrochent les haut-parleurs, de m’y enfermer à double tour, et d’y vociférer ma plus grande collection d’invectives et de sacrilèges. (…) Hurler que je suis libre et que Dieu est une question, pas une réponse (…) Et là, je mourrai, lapidé peut-être, mais le micro à la main. (pp. 149-150)

Pour Haroun, la divinité est liéà rien de plus que la femme « Peut-être, il y a bien longtemps, ai-je pu entrevoir quelque chose de lordre du divin. () [« Ce visage »était celui de Meriem. » (p. 150)

Le journaliste décrit de plus le schisme interne qui se crée en lhomme après avoir commis un crime « Le crime compromet pour toujours lamour et la possibilité daimer. Jai tué et, depuis, la vie nest plus sacréà mes yeux.» (p. 101). Nous voyons bien que nous sommes en présence dune œuvre profonde, complexe et sophistiquée, quon gagnerait à lire plusieurs fois. Ceux qui voudraient cantonner Meursault, contre-enquête à une simple allégorie de lindépendance algérienne découvriraient quils commettent un contresens : Daoud reprend le mythe dAbel et Caïn, les deux ennemis-frères. Pour lui, le meurtrier est autant une victime que le mort, car il perd une partie de lui-même, une partie de son humanité.En somme, pour Daoud, un assassinat est aussi un suicide, et son roman, un appel à lamour. 

Critique littéraire: L'Ordinateur du Paradis de Benoît Duteurtre: Un roman moderne anti-moderniste ?


Le lecteur qui s’embarque dans L’Ordinateur du Paradis (Paris, Gallimard, 2014) en pensant retrouver un conte fantaisiste à la Pierre Gripari, auteur de La Sorcière de la rue Moufettard et d’Un Gentil petit diable, pourrait se sentir bien désabusé. En effet, une grande partie du « roman » se déroule bel et bien sur Terre, dans le monde moderne. Nous y suivons surtout les déboires de Simon Laroche, rapporteur de la Commission des Libertés Publiques subventionnée par l’État. Cet intellectuel renommé se voit d’un jour à l’autre piégé dans un engrenage infernal : une phrase, qu’il a dite dans un élan théâtral contre les féministes et les gays, est filméà son insu et court depuis sur Internet, lui occasionnant des demandes de démission : « La cause des femmes ! La cause des gays ! J’en ai marre de ces agités qui s’excitent pour des combats déjà gagnés… » (p. 81). 

Nous voyons bien que des interrogations sur la modernité, la mondialisation et leur impact néfaste sur la vie privée se dégagent de ce récit. Quoi qu’en puisse croire le lecteur, le questionnement sur l’au-delà n’est qu’un thème secondaire dans cette œuvre, qui montre que la modernisation et le libéralisme ont atteint même le Paradis. Ultime preuve que le sujet principal de ce roman est le modernisme, non l’au-delà. D’ailleurs, cette œuvre elle-même est-elle bien un roman traditionnel ?

À première vue, le lecteur se retrouve devant un ramassis d’intrigues différentes et pourrait croire un moment que Benoît Duteurtre dissimule sous l’appellation « roman » un recueil de quatre nouvelles. Il n’en est rien : les quatre fils de l’intrigue se rejoignent au fil du récit, préparant la surprise finale : le lecteur qui se croyait face à deux voix narratives, plusieurs points de vue, voire deux intrigues totalement disjointes, découvre qu’il ne s’agit que d’une seule et même intrigue éclatée.

Nous reprochons à L’Ordinateur du Paradis une trop grande abondance de détails qui fait que l’action s’enlise au profit de descriptions exhaustives de la vie quotidienne : « Remontant le couloir de première classe, il apprécia les tailleurs élégants, les chevelures soyeuses, les costumes bien coupés, les mentons rasés, les cous parfumés » (p.34). Le texte comporte également des pauses-essais trop techniques : « Le cloud est cette espèce de mémoire flottante, dispersée d’un disque dur à l’autre, où se trouve la totalité des informations » (p. 54).

L’élément de « résolution » ne résout aucunement l’élément perturbateur, donnant l’image d’un dénouement à la va-vite. Par ailleurs, l’image de l’Arabe laisse à désirer : l’unique Oriental présent dans cette œuvre, curieusement prénommé Darius, est un jeune réfugié irakien désœuvré et machiste, ce qui apparaît clairement dans sa relation avec son ami français, Red.

Quant à son copain Darius, grand brun au torse athlétiquement découpé, l’air sceptique et rêveur face au monde qui l’entourait, il était l’aîné d’une famille irakienne émigrée après l’invasion américaine. (…) Sauf que depuis l’âge de quatorze ans, les deux amis pensaient davantage à plaisanter qu’à obtenir de bonnes notes, à faire du mauvais esprit qu’à étudier leurs cours, à briller au club théâtre plutôt qu’en mathématiques. (p. 88)



 Pourtant, la chute finale du roman fait (presque) pardonner ces petits défauts de l’œuvre et nous laisse devant l’essentiel: Pour Benoît Duteurtre, l’important ne serait pas d’offrir à ses lecteurs une intrigue lourde de péripéties, mais de leur délivrer une réflexion sur la modernité : « Simon n’y pouvait rien : malgré ses efforts pour vivre avec son temps, il voyait régulièrement le passé resurgir avec un parfum de nostalgie » (p. 35). Dans cette œuvre plus qu’une autre, un lecteur averti en vaut bien deux. Ironie du sort : Duteurtre qui voulait écrire un roman valorisant le traditionalisme, se retrouve en train d’écrire une œuvre très… moderne. 

Critique littéraire: Le Roi disait que j'étais diable de Clara Dupont-Monod, un roman multi-genre

"Encore une biographie", pense le lecteur des résumés du Roi disait que j'étais diable de Clara Dupont-Monod (Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2014). Tout au plus peut-il penser qu'il s'agit d'un roman historique dont l'action se situe dans un contexte médiéval. Un lecteur non intéressé s'empressera d'oublier Le Roi disait que j'étais diable, prétextant: "Pas besoin de lire tout un livre pour connaître la vie d'Aliénor d'Aquitaine. Sa biographie est partout sur Internet". Aujourd'hui, le grand dilemme de l' (auto) biographie n'est pas la véracité des informations (à la portée de tous en un clic), mais bien le nouvel éclairage que l'oeuvre pourra braquer sur le personnage.

Biographie ? Roman historique ? Roman médiéval ? Nous pencherons plutôt pour classer cette œuvre parmi les romans familiaux et psychologiques. "Roman familial et psychologique?" s'interrogera mon lecteur. Eh bien oui.

L'intrigue et la véracité historiques sont secondaires dans ce récit, ce qui ferait la joie des détracteurs de l'Histoire: "Dans [ce roman], les prises de liberté sont nombreuses. (...) Que les historiens ne jugent ces libertés ni blasphématoires, ni hors de propos, mais bien comme le plein exercice de l'imagination qui s'enchante à combler les vides, en prenant appui sur l'armature chronologique" (chronologie, pp. 227-228). On le voit grâce à la retranscription des faits historiques succincte et accélérée: "Je t'ai sacrifié l'abbé Suger. J'ai promu ses ennemis. Mathieu de Montmorency a été nommé connétable. Raoul de Vermandois a repris sa charge de sénéchal". (p.106)

Le grand défi qu'a pu relever Le Roi disait que j'étais diable est de visser un roman psychologique et familial sur une trame historique. Le roman offre de saisissantes descriptions de sentiments. Ainsi, Louis VII, mari d'Aliénor d'Aquitaine, dit-il en parlant à sa femme : "Je voudrais crier à l'injustice. Jeter tes poètes au feu. Tomber à genoux et enserrer tes jambes. Que jamais tu ne partes. Que tu me regardes. Mais je me tais. J'ai trop peur de ton mépris" (p. 80). De son côté, Aliénor d'Aquitaine déclare à propos de son époux : "Hélas, Louis me fait honte. Il est derrière moi. [...] Un pèlerin. [...] Je n'ose même pas imaginer le spectacle qu'il offre. Par moi, il a goûté à la haine. Par lui, j'ai découvert la honte" (p. 150).

Le texte ne manque pas d'une certaine poésie, ce qui contredit les caractéristiques de la biographie. Clara Dupont-Monod ne se pose pas en historienne à la recherche méticuleuse de la vérité historique. Au contraire, elle va même jusqu'à incorporer dans son œuvre des extraits de la Chanson de Cercamon, de la Pastourelle de Marcabru, de la Chanson de Guillaume de Poitiers, de la chanson de Geoffrey Trudel de balade et d'autres médiévale… La prose même de Dupont-Monod a quelque chose de poétique : " La voici, celle qui possède dix fois le royaume de France. Celle qui chevauche comme un homme et ne craint pas le désir qu'elle suscite. Qui colore ses robes. N'attache pas ses cheveux. Porte des souliers pointus. Qui donne l'argent du royaume à des poètes venus d'en bas" (p. 59).

L'écriture fait alterner pour un même évènement deux points de vue différents, celui d'Aliénor d'Aquitaine et celui de Louis VII, relayés par le point de vue de Raymond de Poitiers qui sonne comme un épilogue à la fin du roman et fait le point sur la vie du couple royal. Un couple bizarre qui communique le plus souvent par discours différés, un couple où sévissent le malentendu et l'incompréhension mutuelle.

Critique littéraire: La biographie mourra-t-elle au XXIème siècle? (l'article complet)


Le XXIème siècle verra-t-il la fin du genre biographique? Cette littérature a-t-elle perdu son importance et sa place parmi les autres? Nos questions pourraient surprendre et choquer le lecteur; mais nous devons aujourd'hui suivre les évolutions de notre époque et nous poser des questions intelligentes et légitmes. 

En effet, à l'ère Internet, quel rôle pourrait encore jouer la biographie? Et avons-nous toujours besoin de ce genre d'écriture? Effectivement, durant nos recherches, nous ne lisons plus de livres mais consultons systématiquement Internet comme s'il était devenu le seul et unique moyen d'information. Au lieu de lire un essai biographique, nous visitons par quelques clics quelques sites électroniques, et nous trouvons tout ce que nous voulions savoir.

Internet devance aujourd'hui la biographie sur plusieurs points importants: en un instant, Internet présente au lecteur des informations innombrables provenant de sources différentes, tandis que l'essai biographique présente au lecteur les informations d'un chercheur dont le point de vue est parfois subjectif ou partiel. Le lecteur d'une biographie doit souvent lire le livre entier pour acquérir la totalité des informations. Pendant ce temps, le lecteur d'Internet parcourt des résumés de diverses sources; il acquérit une vision englobante du sujet. Pourquoi cette différence? Tout simplement parce que la biographie doit suivre les règles de la narration et du récit, elle doit comprendre des descriptions, des explications et des dialogues; alors que l'écriture sur Internet ressemble plus à l'écriture journalistique et encyclopédique: beaucoup d'informations en peu de mots.  

Qui aurait encore besoin de la biographie aujourd'hui? Pour qui subsisterait cette écriture et sous quelles conditions? Cette écriture existerait toujours pour les chercheurs qui voudraient étudier le point du vue du biographe sur le personnage dont il retranscrit l'existence, et pour les férus de culture qui voudraient joindre l'utile à l'agréable, les informations au texte narratif. Pourtant, si nous exceptons ces rares personnes, nous trouverons que la biographie est devant un véritable défi. 

Nous remarquons que, face à ces difficultés, les biographes utilisent aujourd'hui de nouvelles stratégies pour attirer les lecteurs: certains admettent que leur but n'est pas l'historicisation, mais l'écriture d'une trame romanesque bien assise; ils écrivent alors des romans historiques qui font rêver le lecteur. D'autres intègrent à la biographie des informations exclusives dont ils font grand cas et qui surprennent le lecteur; d'autres encore présentent au lecteur un aspect encore inconnu du personnage en question; ils s'éloignent alors du roman historique pour écrire un roman psychologique repertoriant la vie psychique du personnage.

Peu à peu, la biographie revient à sa nature première: un texte narratif relatant la vie d'un personnage... avec quelques prises de liberté.


Critique littéraire: "Les Méduses ont-elles sommeil?" de

Louisiane C. Dor : un témoignage saisissant



Le livre de Louisiane C. Dor
Dans Les Méduses ont-elles sommeil?, son premier roman, Louisiane C. Dor relate ni plus ni moins son expérience personnelle de jeune adulte entraînée dans le tourbillon parisien des bas-fonds et de la drogue.

Avant cette expérience, Louisiane C. Dor n'avait jamais pensé à créer une oeuvre artistique, encore moins un roman d'une bonne centaine de pages. Mais, voyant l'Éducation Nationale et les associations françaises lui refuser la permission de faire des sessions préventives contre la drogue dure dans les collèges et les lycées, elle a décidé d'écrire ce roman.

Louisiane C. Dor emploie surtout dans Les Méduses ont-elles sommeil? le registre familier, qui lui réussit mieux que le registre soutenu, et l'aide à rendre plus authentiquement le climat de dépravation dans lequel elle était emportée. Pour nous, le sujet est quand même neuf et attrayant, mais il n'en est pas nécessairement de même pour tous les lecteurs. Le lecteur est emporté par le style sautillant et croustillant de l'écrivain qui lui fait découvrir le monde gore à sa façon.

Louisiane C. Dor lance, à partir de son roman, un véritable réquisitoire contre la société qui transforme les jeunes gens en véritables consommateurs de masse, inconscients de ce qui leur est inculqué et vendu: "Qui sont les modèles des enfants de la nuit ? Où copient-ils ces modes de vie et pourquoi ? Pourquoi faire chanter « Legalize Marie-Jeanne » aux jeunes, pourquoi chercher à tout prix à les rendre cons plus qu’ils ne le sont déjà, pourquoi ne pas leur donner le bon exemple, pourquoi n’y a-t-il pas plus de sessions de prévention en tout genre, pourquoi est-ce que j’ai trouvé ça cool de dire que je tapais occasionnellement de la coke et que je me défonçais tous les deux soirs à la MDMA ? Qui a fait en sorte que je trouve ça cool et pourquoi ?" (p.89).

L'auteure dénonce de même dans Les Méduses ont-elles sommeil? le système juridique qui traite les toxicomanes en véritables criminels, allant jusqu'à les emprisonner: "N'est-ce donc pas une maladie que d'être toxicomane ? Est-ce ainsi qu'ils la soignent ? Pourquoi nous traiter ainsi ? Pourquoi nous vendre dans les médias comme si nous étions de dangereux microbes ? " (p. 137).

Elle montre du doigt les gendarmeries et les institutions sanitaires, révélant leur indifférence par rapport aux toxicomanes : "[Les policiers] me relâchaient dans la nature avec mon addiction collée au derrière ; la droguée on s’en fiche, tout ce qui nous intéresse, c’est son fournisseur" (p. 140). Elle fait dire aux secours: "Désolé, les alcooliques et les toxicos, c’est pas notre priorité. On en a déjà trop ramassé ce soir" (p. 92).

Louisiane C. Dor retrace également dans Les Méduses ont-elles sommeil? les modes de pensée du toxicomane: "Un drogué semble comprendre ce qui lui avait toujours manqué lorsqu'il découvre la drogue et regrette instantanément de ne pas l'avoir connue plus tôt. (...) On se cherche et soudain grâce à la cocaïne on réalise que l'on est intelligent. Heureux de s'en être rendu compte, on continue la coke. Ça y est, j'ai trouvé mon cerveau. (...) Persuadée d'avoir découvert la solution à tout problème, je voulais faire essayer celle-ci à tous ceux qui s'ennuyaient. (...) La drogue était une merveilleuse invention et il était fabuleux qu'elle ne soit pas addictive. Ça, j'en étais persuadée." (pp. 97-99).

Ensuite, elle oppose la réalité à ce discours ironique: "C’est à ça que sert la cocaïne : faire parler pour ne rien dire de plus que si l’on n’avait pas parlé. (...) Plus simplement encore, elle nous rend tellement bêtes que chaque réflexion nous semble intelligente. (...) Ceux qui sont en dehors du cercle poudreux trouvent que ceux qui sont à l’intérieur du cercle sont vraiment atteints, voire plus simplement, complètement cons." (pp.97-98).

Dans Les Méduses ont-elles sommeil?Louisiane C. Dor dévoile un monde dans lequel la chute aux enfers s'accompagne d'une véritable perte de l'humain et de la dignité.

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