Le lecteur qui s’embarque dans L’Ordinateur du
Paradis (Paris, Gallimard, 2014) en pensant retrouver un conte fantaisiste à la
Pierre Gripari, auteur de La Sorcière de la rue
Moufettard et d’Un
Gentil petit diable, pourrait se sentir bien désabusé. En
effet, une grande partie du « roman » se déroule bel et bien sur
Terre, dans le monde moderne. Nous y suivons surtout les déboires de Simon Laroche,
rapporteur de la Commission des Libertés Publiques subventionnée par
l’État. Cet intellectuel renommé se voit d’un jour à l’autre piégé dans
un engrenage infernal : une phrase, qu’il a dite dans un élan théâtral contre
les féministes et les gays, est filmée à son insu et court depuis sur Internet,
lui occasionnant des demandes de démission : « La cause des
femmes ! La cause des gays ! J’en ai marre de ces agités qui
s’excitent pour des combats déjà gagnés… » (p. 81).
Nous voyons bien que des interrogations sur la
modernité, la mondialisation et leur impact néfaste sur la vie privée se dégagent
de ce récit. Quoi qu’en puisse croire le lecteur, le questionnement sur l’au-delà n’est
qu’un thème secondaire dans cette œuvre, qui montre que la modernisation et le libéralisme
ont atteint même le Paradis. Ultime preuve que le sujet
principal de ce roman est le modernisme, non l’au-delà. D’ailleurs, cette
œuvre elle-même est-elle bien un roman traditionnel ?
À première
vue, le lecteur se retrouve devant un ramassis d’intrigues différentes
et pourrait croire un moment que Benoît Duteurtre dissimule sous l’appellation
« roman » un recueil de quatre nouvelles. Il n’en est rien : les
quatre fils de l’intrigue se rejoignent au fil du récit, préparant
la surprise finale : le lecteur qui se croyait face à deux voix narratives,
plusieurs points de vue, voire deux intrigues totalement disjointes, découvre
qu’il ne s’agit que d’une seule et même intrigue éclatée.
Nous reprochons à L’Ordinateur du
Paradis une trop grande abondance de détails qui fait que l’action s’enlise
au profit de descriptions exhaustives de la vie quotidienne : « Remontant
le couloir de première classe, il apprécia les tailleurs élégants, les
chevelures soyeuses, les costumes bien coupés, les mentons rasés, les cous
parfumés » (p.34). Le texte comporte également des pauses-essais trop
techniques : « Le cloud est cette espèce de mémoire flottante,
dispersée d’un disque dur à l’autre, où se trouve la totalité des
informations » (p. 54).
L’élément de « résolution » ne résout
aucunement l’élément perturbateur, donnant l’image d’un dénouement à la
va-vite. Par ailleurs, l’image de l’Arabe laisse à désirer : l’unique
Oriental présent dans cette œuvre, curieusement prénommé Darius, est un jeune réfugié irakien
désœuvré et machiste, ce qui apparaît clairement dans sa relation avec son ami
français, Red.
Quant à
son copain Darius, grand brun au torse athlétiquement découpé, l’air sceptique
et rêveur face au monde qui l’entourait, il était l’aîné d’une
famille irakienne émigrée après l’invasion américaine. (…) Sauf que depuis
l’âge de quatorze ans, les deux amis pensaient davantage à plaisanter qu’à
obtenir de bonnes notes, à faire du mauvais esprit qu’à étudier leurs cours, à
briller au club théâtre plutôt qu’en mathématiques. (p. 88)
Pourtant,
la chute finale du roman fait (presque) pardonner ces petits défauts de l’œuvre
et nous laisse devant l’essentiel: Pour Benoît Duteurtre, l’important
ne serait pas d’offrir à ses lecteurs une intrigue lourde de péripéties,
mais de leur délivrer une réflexion sur la modernité : « Simon n’y
pouvait rien : malgré ses efforts pour vivre avec son temps, il voyait
régulièrement le passé resurgir avec un parfum de nostalgie » (p. 35). Dans
cette œuvre plus qu’une autre, un lecteur averti en vaut bien deux. Ironie du
sort : Duteurtre qui voulait écrire un roman valorisant le traditionalisme,
se retrouve en train d’écrire une œuvre très… moderne.
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