Peinture

Le peintre Marwan Moujaes à propos de l'oiseau de sa toile: "Moi, je le vois chanter!"


La toile illustrant le recueil du poète Adham Al-Dimashki, Né ni mâle ni femelle


Dans cette toile, l'observateur remarque d'abord un chaos: des éléments sans grand rapport les uns avec les autres (de la cendre, du blé, des pièces de fer, des mots, des chiffres...). Et, au milieu de tout ce désordre, une tâche sanglante: l'oiseau qui paraît transpercé par les pièces de bois de part et d'autre. C'est de toute évidence une toile violente. D'ailleurs, il ne reste que la moitié de l'animal. Les pièces de bois prennent la forme d'un chevalet qui porte l'oiseau. Dans cette toile, tout se passe comme si l'oiseau était une toile ou par transposition le peintre lui-même déchiré par le chaos. Quand nous l'avons interrogé, le peintre a ajouté: "Ces pièces peuvent tout aussi former une chaise. Mais j'ai surtout voulu représenter sa majesté la charogne, la poésie dans la perte.", faisant ainsi référence au célèbre poème de Baudelaire poétisant sur la beauté de la laideur, ce qui explique la présence simultanée de la cendre et du blé dans la toile. Le grand dilemne entre les observateurs est de savoir si l'oiseau de la toile est mort ou uniquement blessé. Certains tiennent à trouver un oiseau agonisant tandis que d'autres insistent pour dire qu'il est mort. "J'ai le même problème que vous, dit Marwan Moujaes, je ne sais pas. Moi je le vois chanter." Le chant du cygne au moment de sa mort.


Croquis de l'oiseau



Le peintre Marwan Moujaes sur l'une de ses toiles: 

"Tout est  dans l'ombre, ordre et désordre ne signifient

plus rien"




La page du recueil d'Adham Al-Dimashki, Né ni mâle, ni femelle illustrée par Marwan Moujaes


Si nous lisons la peinture à la lumière du texte écrit par Adham Al-Dimashki, (le peintre Marwan Moujaes nous le permet, car selon lui, le texte d'Al-Dimashki et son dessin se nourrissent l'un de l'autre), nous dirions qu'ici, l'être est troublé par l'irrégularité de la vie. Adham Al-Dimashki donne pour titre à cette partie de son oeuvre: "Tableaux d'enfance et de pauvreté". Dans le recueil poétique, l'enfance qui est supposée être régulière et normale est renversée par la mort du père. C'est pourquoi nous avons un renversement des chiffres qui correspond au renversement de l'ordre des choses. Certains chiffres manquent, ce qui pourrait référer au manque généré par la mort du père. Le peintre Marwan Moujaes, lui, a une autre vision pour ce dessin: "Tout est dans l'ombre, ordre et désordre ne signifient plus rien".


Des dessins de Marwan Moujaes: un trajet et une sexualité avortés



Au début, la chroniqueuse a cru qu'il s'agissait dans ce dessin d'une feuille d'automne, plus précisément d'une "feuille de laurier", semblable à celles qui jalonnent toute l'oeuvre picturale de Marwan Moujaes. Mais ensuite, quand elle a bien regardé le dessin, elle a saisi qu'il s'agit d'une vulve remplie de terre et entourée d'une fourchette et d'une cuillère. Est-ce la femme qui est un objet sexuel consommé par l'homme voulant se nourrir et se rassasier? Est-ce la femme-mère elle-même qui forme la nourriture de son enfant? Marwan Moujaes répond: "Je n'ai pas représenté la femme comme objet sexuel car je trouve que même l'homme est un objet sexuel pour la femme. J'ai juste représenté un acte de consommation manqué. Dans ce dessin, il n'y a ni mère, ni femme, ni même objet sexuel. C'est un regard ironique sur la poésie d'Adham Al-Dimashki qui est une simple masturbation intellectuelle. Dans sa poésie il parle du mal, le visite et le revisite, il parle du désir et tourne autour sans plonger dedans. Donc dans cette image je tourne autour du désir sans le consommer". Suite à notre critique: "C'est une image ambivalente, car la femme est en même temps mère, la terre est là pour référer à la terre-mère à laquelle l'homme retourne", Marwan Moujaes réplique: "Chez Adham Al-Dimashki, oui! Mais pas chez moi!"





Le dessin dans le recueil d'Adham Al-Dimashki, Né ni mâle, ni femelle



Face à la chroniqueuse qui spéculait que ce dessin représente l'art qui permet de gravir les difficultés, que l'échelle est lancée du bas vers le haut et qu'elle est formée de flutes, le peintre Marwan Moujaes rétorque: "Non, ce dessin n'a pas pour sujet l'art. J'ai juste dessiné un chemin qui ne mène nulle part".




































Le peintre Marwan Moujaes: Nous, les artistes, changerons le

monde!



L'artiste-dessinateur libanais Marwan Moujaes a accepté de discuter avec Les ChroniCoeurs depuis Paris où il réside désormais. En 2014, Marwan Moujaes avait illustré le recueil Né ni mâle ni femelle du poète libanais Adham Al-Dimashki. Nos questions porteront surtout sur ce travail commun entre les deux artistes.

Les ChroniCoeurs: Avez-vous peint ces dessins pour le texte d'Adham Al-Dimashki ou sont-ils indépendants de son texte?

Marwan Moujaes: Les oeuvres existent en soi et pour soi, les dessins peuvent exister sans le texte et le texte existe sans eux, le livre est un espace de jeux entre ces deux arts. Parfois, ils se rencontrent et se fusionnent, et d'autres fois ils se disputent.


Les ChroniCoeurs: Donc vous vous étiez mis d'accord avec Adham Al-Dimashki pour élaborer ensemble le livre mais votre oeuvre et celle d'Adham sont restées indépendantes l'une de l'autre?

Marwan Moujaes: Oui, les oeuvres parlent ensemble mais chacune reste autonome, et possède sa propre personnalité.


Les ChroniCoeurs: Vous avez dit que vos dessins n'ont pas de nom, comment faites-vous pour qu'un spectateur non informé comprenne le thème du dessin?

Marwan Moujaes: Le spectateur n'est pas un souci pour moi, qu'il comprenne ou non n'est pas mon problème; je voudrais qu'il reconnaisse un certain état. Je ne veux ni qu'il aime ni qu'il comprenne, je voudrais le bousculer, je voudrais qu'il se pose des questions. Quand un enfant sent le parfum de sa mère sur le trottoir, il ne comprend pas mais il est bouleversé, il est amené ailleurs. L'art c'est amener ailleurs.


Les ChroniCoeurs: Le spectateur est capable de pressentir certains sentiments qui se dégagent du dessin, la douleur ou la joie par exemple.

 à poser des questions plus dures. Je cherche à ramener l'homme vers ses souvenirs, le moment présent, le projeter dans le futur, le ramener vers son humain et parfois le pousser vers son animalité. Je ne travaille pas avec un spectateur à l'esprit, mais j'ai toute l'humanité à l'esprit.


Les ChroniCoeurs: Êtes-vous contre qu'une oeuvre d'art soit expliquée et explicitée par exemple grâce à une critique littéraire ou artistique ou grâce à un cours etc...? Pensez-vous qu'une explication pareille pourrait nuire à l'effet bousculade que vous voulez créer chez le spectateur?

Marwan Moujaes: Je suis contre le fait qu'un artiste vienne prêcher ou enseigner dans son travail. Tout le travail analytique qui vient après le travail lui donne de la force, mais à condition qu'il vienne après la création.


Les ChroniCoeurs: Nous n'avons pas été éduqués à comprendre l'art contemporain. C'est le problème de toute une génération.

Marwan Moujaes: Malheureusement c'est du chinois pour vous. Mais. comme disait Picasso, le chinois s'apprend. Tout va changer bientôt. Nous, les artistes, allons changer le monde!





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