dimanche 3 mai 2015

Critique littéraire: "Constellation" d'Adrien Bosc... Une surprise (deuxième partie)


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Il faut avouer que pour quelqu’un qui écrit un roman sur l’aviation, l’utilisation des mots techniques se révèle indispensable. Pour le lecteur, elle peut ne pas être rebutante si l’auteur n’utilise pas les mots avec pédanterie et ostentation. C’est le cas avec Constellation où l’utilisation des mots techniques se fait avec parcimonie et n’entrave pas la compréhension du lecteur qui répugne à rechercher chaque mot dans le dictionnaire. Adrien Bosc a-t-il réellement peint -en 193 pages- le drame aérien des Açores, en en détaillant chaque instant, chaque minute? Surprise: non. L’écrivain alterne dans son œuvre entre la description de la catastrophe et le récit de la vie des victimes. À coups d’analepses, l’auteur commémore l’existence des 37 passagers du Constellation, consacrant presque un chapitre à chacun d’eux, suivant le plan « chapitre sur la catastrophe / chapitre sur le personnage ». Nous ne manquerons pas ici de saluer l’effort déployé par le romancier Adrien Bosc, ce jeune auteur né en 1986 - oui, il n’a encore que 28 ans - lors de l’écriture de son premier roman. La narration témoigne d’elle-même de l’énorme travail de recherche qu’a nécessité l’œuvre. Une fois, Bosc cite les noms de tous les passagers du Constellation avant de consacrer un chapitre à chaque victime : « John et Hanna Abbott, Mustapha Abdouni, Eghline Askhan, Joseph Aharony, Jean-Pierre Aduritz, Jean-Louis Arambel, Françoise et Jenny Brandière, Bernard Boutet de Monvel, Guillaume Chaurront, Thérèse Etchepare, Edouard Gehring… » (p. 14). Une autre fois, Bosc se pose en personnage et retrace sa quête d’informations : « [Je] lui écrivis ce message : (…) Dear Doctor Lowenstein, My name is Adrien Bosc, I am working on the plane crash F-BAZN Constellation. I’m not sure you’re the son of Ernest Lowenstein, if so may I ask you a few questions? » (p. 113).


samedi 25 avril 2015

Critique littéraire: "Constellation" d'Adrien Bosc… Une surprise (première partie)

Quand j’ai lu pour la première fois le résumé du roman Constellation d’Adrien Bosc, je me suis dit : « Encore un livre ennuyeux ». En effet, la quatrième de couverture chez Stock annonçait : « Le 27 octobre 1949, le nouvel avion d’Air France, le Constellation, lancé par l’extravagant M. Howard Hughes, accueille trente-sept passagers. Le 28 octobre, l’avion ne répond plus à la tour de contrôle. Il a disparu en descendant sur l’île Santa Maria, dans l’archipel des Açores. Aucun survivant ». « Le récit détaillé d’une catastrophe aérienne. Très détaillé. Avec plein de mots techniques », ai-je pensé. Pouvais-je éviter la lecture de ce roman tortueux, ennuyeux? Apparemment non… Car ce roman est le lauréat du Grand Prix du roman de l’Académie Française en 2014. « Ils doivent lui avoir trouvé quelque chose. Bon. Essayons quand même ».

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jeudi 16 avril 2015

Critique littéraire: "Les Méduses ont-elles sommeil?" de Louisiane C. Dor : un témoignage saisissant

Le livre de Louisiane C. Dor
Dans Les Méduses ont-elles sommeil?, son premier roman, Louisiane C. Dor relate ni plus ni moins son expérience personnelle de jeune adulte entraînée dans le tourbillon parisien des bas-fonds et de la drogue.

Avant cette expérience, Louisiane C. Dor n'avait jamais pensé à créer une oeuvre artistique, encore moins un roman d'une bonne centaine de pages. Mais, voyant l'Éducation Nationale et les associations françaises lui refuser la permission de faire des sessions préventives contre la drogue dure dans les collèges et les lycées, elle a décidé d'écrire ce roman.

Louisiane C. Dor emploie surtout dans Les Méduses ont-elles sommeil? le registre familier, qui lui réussit mieux que le registre soutenu, et l'aide à rendre plus authentiquement le climat de dépravation dans lequel elle était emportée. Pour nous, le sujet est quand même neuf et attrayant, mais il n'en est pas nécessairement de même pour tous les lecteurs. Le lecteur est emporté par le style sautillant et croustillant de l'écrivain qui lui fait découvrir le monde gore à sa façon.

Louisiane C. Dor lance, à partir de son roman, un véritable réquisitoire contre la société qui transforme les jeunes gens en véritables consommateurs de masse, inconscients de ce qui leur est inculqué et vendu: "Qui sont les modèles des enfants de la nuit ? Où copient-ils ces modes de vie et pourquoi ? Pourquoi faire chanter « Legalize Marie-Jeanne » aux jeunes, pourquoi chercher à tout prix à les rendre cons plus qu’ils ne le sont déjà, pourquoi ne pas leur donner le bon exemple, pourquoi n’y a-t-il pas plus de sessions de prévention en tout genre, pourquoi est-ce que j’ai trouvé ça cool de dire que je tapais occasionnellement de la coke et que je me défonçais tous les deux soirs à la MDMA ? Qui a fait en sorte que je trouve ça cool et pourquoi ?" (p.89).

L'auteure dénonce de même dans Les Méduses ont-elles sommeil? le système juridique qui traite les toxicomanes en véritables criminels, allant jusqu'à les emprisonner: "N'est-ce donc pas une maladie que d'être toxicomane ? Est-ce ainsi qu'ils la soignent ? Pourquoi nous traiter ainsi ? Pourquoi nous vendre dans les médias comme si nous étions de dangereux microbes ? " (p. 137).

Elle montre du doigt les gendarmeries et les institutions sanitaires, révélant leur indifférence par rapport aux toxicomanes : "[Les policiers] me relâchaient dans la nature avec mon addiction collée au derrière ; la droguée on s’en fiche, tout ce qui nous intéresse, c’est son fournisseur" (p. 140). Elle fait dire aux secours: "Désolé, les alcooliques et les toxicos, c’est pas notre priorité. On en a déjà trop ramassé ce soir" (p. 92).

Louisiane C. Dor retrace également dans Les Méduses ont-elles sommeil? les modes de pensée du toxicomane: "Un drogué semble comprendre ce qui lui avait toujours manqué lorsqu'il découvre la drogue et regrette instantanément de ne pas l'avoir connue plus tôt. (...) On se cherche et soudain grâce à la cocaïne on réalise que l'on est intelligent. Heureux de s'en être rendu compte, on continue la coke. Ça y est, j'ai trouvé mon cerveau. (...) Persuadée d'avoir découvert la solution à tout problème, je voulais faire essayer celle-ci à tous ceux qui s'ennuyaient. (...) La drogue était une merveilleuse invention et il était fabuleux qu'elle ne soit pas addictive. Ça, j'en étais persuadée." (pp. 97-99).

Ensuite, elle oppose la réalité à ce discours ironique: "C’est à ça que sert la cocaïne : faire parler pour ne rien dire de plus que si l’on n’avait pas parlé. (...) Plus simplement encore, elle nous rend tellement bêtes que chaque réflexion nous semble intelligente. (...) Ceux qui sont en dehors du cercle poudreux trouvent que ceux qui sont à l’intérieur du cercle sont vraiment atteints, voire plus simplement, complètement cons." (pp.97-98).

Dans Les Méduses ont-elles sommeil?, Louisiane C. Dor dévoile un monde dans lequel la chute aux enfers s'accompagne d'une véritable perte de l'humain et de la dignité.

dimanche 12 avril 2015

Le peintre Marwan Moujaes: Nous, les artistes, changerons le monde!

L'artiste-dessinateur libanais Marwan Moujaes a accepté de discuter avec Les ChroniCoeurs depuis Paris où il réside désormais. En 2014, Marwan Moujaes avait illustré le recueil Né ni mâle ni femelle du poète libanais Adham Al-Dimashki. Nos questions porteront surtout sur ce travail commun entre les deux artistes.

Les ChroniCoeurs: Avez-vous peint ces dessins pour le texte d'Adham Al-Dimashki ou sont-ils indépendants de son texte?

Marwan Moujaes: Les oeuvres existent en soi et pour soi, les dessins peuvent exister sans le texte et le texte existe sans eux, le livre est un espace de jeux entre ces deux arts. Parfois, ils se rencontrent et se fusionnent, et d'autres fois ils se disputent.


Les ChroniCoeurs: Donc vous vous étiez mis d'accord avec Adham Al-Dimashki pour élaborer ensemble le livre mais votre oeuvre et celle d'Adham sont restées indépendantes l'une de l'autre?

Marwan Moujaes: Oui, les oeuvres parlent ensemble mais chacune reste autonome, et possède sa propre personnalité.


Les ChroniCoeurs: Vous avez dit que vos dessins n'ont pas de nom, comment faites-vous pour qu'un spectateur non informé comprenne le thème du dessin?

Marwan Moujaes: Le spectateur n'est pas un souci pour moi, qu'il comprenne ou non n'est pas mon problème; je voudrais qu'il reconnaisse un certain état. Je ne veux ni qu'il aime ni qu'il comprenne, je voudrais le bousculer, je voudrais qu'il se pose des questions. Quand un enfant sent le parfum de sa mère sur le trottoir, il ne comprend pas mais il est bouleversé, il est amené ailleurs. L'art c'est amener ailleurs.


Les ChroniCoeurs: Le spectateur est capable de pressentir certains sentiments qui se dégagent du dessin, la douleur ou la joie par exemple.

Marwan Moujaes: La joie et la douleur sont à la surface des choses, je cherche à poser des questions plus dures. Je cherche à ramener l'homme vers ses souvenirs, le moment présent, le projeter dans le futur, le ramener vers son humain et parfois le pousser vers son animalité. Je ne travaille pas avec un spectateur à l'esprit, mais j'ai toute l'humanité à l'esprit.


Les ChroniCoeurs: Êtes-vous contre qu'une oeuvre d'art soit expliquée et explicitée par exemple grâce à une critique littéraire ou artistique ou grâce à un cours etc...? Pensez-vous qu'une explication pareille pourrait nuire à l'effet bousculade que vous voulez créer chez le spectateur?

Marwan Moujaes: Je suis contre le fait qu'un artiste vienne prêcher ou enseigner dans son travail. Tout le travail analytique qui vient après le travail lui donne de la force, mais à condition qu'il vienne après la création.


Les ChroniCoeurs: Nous n'avons pas été éduqués à comprendre l'art contemporain. C'est le problème de toute une génération.

Marwan Moujaes: Malheureusement c'est du chinois pour vous. Mais. comme disait Picasso, le chinois s'apprend. Tout va changer bientôt. Nous, les artistes, allons changer le monde!





mercredi 8 avril 2015

Des dessins de Marwan Moujaes: un trajet et une sexualité avortés


Au début, la chroniqueuse a cru qu'il s'agissait dans ce dessin d'une feuille d'automne, plus précisément d'une "feuille de laurier", semblable à celles qui jalonnent toute l'oeuvre picturale de Marwan Moujaes. Mais ensuite, quand elle a bien regardé le dessin, elle a saisi qu'il s'agit d'une vulve remplie de terre et entourée d'une fourchette et d'une cuillère. Est-ce la femme qui est un objet sexuel consommé par l'homme voulant se nourrir et se rassasier? Est-ce la femme-mère elle-même qui forme la nourriture de son enfant? Marwan Moujaes répond: "Je n'ai pas représenté la femme comme objet sexuel car je trouve que même l'homme est un objet sexuel pour la femme. J'ai juste représenté un acte de consommation manqué. Dans ce dessin, il n'y a ni mère, ni femme, ni même objet sexuel. C'est un regard ironique sur la poésie d'Adham Al-Dimashki qui est une simple masturbation intellectuelle. Dans sa poésie il parle du mal, le visite et le revisite, il parle du désir et tourne autour sans plonger dedans. Donc dans cette image je tourne autour du désir sans le consommer". Suite à notre critique: "C'est une image ambivalente, car la femme est en même temps mère, la terre est là pour référer à la terre-mère à laquelle l'homme retourne", Marwan Moujaes réplique: "Chez Adham Al-Dimashki, oui! Mais pas chez moi!"





Le dessin dans le recueil d'Adham Al-Dimashki, Né ni mâle, ni femelle



Face à la chroniqueuse qui spéculait que ce dessin représente l'art qui permet de gravir les difficultés, que l'échelle est lancée du bas vers le haut et qu'elle est formée de flutes, le peintre Marwan Moujaes rétorque: "Non, ce dessin n'a pas pour sujet l'art. J'ai juste dessiné un chemin qui ne mène nulle part".

mardi 31 mars 2015

Marwan Moujaes crée un nouveau langage et une nouvelle rationalité par la peinture




Ce dessin représenterait la création d'un nouveau langage par la peinture. À chaque chiffre correspondrait une nuance. Pourtant, si tel est le cas, alors pourquoi quelques chiffres sont-ils répétés? Certains observateurs pensent qu'il s'agirait de jours, d'années ou de nombres qui ont marqué l'artiste. Interrogé à ce sujet, le peintre Marwan Moujaes répond: "Je répète beaucoup les 28, le chiffre du cycle de la femme, le  nombre qui précède la douleur ou la naissance." Pourquoi aussi certaines nuances ne sont-elles pas numérotées? Car ce dessin serait encore tout simplement le brouillon d'un nouveau langage, c'est pourquoi des ratures et des vides existent, le peintre serait encore indécis.

























Dans ces deux dessins, le peintre Marwan Moujaes essaie de retrouver une certaine rationalité. Ce serait ainsi des brouillons de nouveaux langages, de nouvelles idées.

vendredi 27 mars 2015

Le peintre Marwan Moujaes sur l'une de ses toiles: "Tout est dans l'ombre, ordre et désordre ne signifient plus rien"


La page du recueil d'Adham Al-Dimashki, Né ni mâle, ni femelle illustrée par Marwan Moujaes


Si nous lisons la peinture à la lumière du texte écrit par Adham Al-Dimashki, (le peintre Marwan Moujaes nous le permet, car selon lui, le texte d'Al-Dimashki et son dessin se nourrissent l'un de l'autre), nous dirions qu'ici, l'être est troublé par l'irrégularité de la vie. Adham Al-Dimashki donne pour titre à cette partie de son oeuvre: "Tableaux d'enfance et de pauvreté". Dans le recueil poétique, l'enfance qui est supposée être régulière et normale est renversée par la mort du père. C'est pourquoi nous avons un renversement des chiffres qui correspond au renversement de l'ordre des choses. Certains chiffres manquent, ce qui pourrait référer au manque généré par la mort du père. Le peintre Marwan Moujaes, lui, a une autre vision pour ce dessin: "Tout est dans l'ombre, ordre et désordre ne signifient plus rien".

mardi 24 mars 2015

Le peintre Marwan Moujaes à propos de l'oiseau de sa toile: "Moi, je le vois chanter!"

La toile illustrant le recueil du poète Adham Al-Dimashki, Né ni mâle ni femelle


Dans cette toile, l'observateur remarque d'abord un chaos: des éléments sans grand rapport les uns avec les autres (de la cendre, du blé, des pièces de fer, des mots, des chiffres...). Et, au milieu de tout ce désordre, une tâche sanglante: l'oiseau qui paraît transpercé par les pièces de bois de part et d'autre. C'est de toute évidence une toile violente. D'ailleurs, il ne reste que la moitié de l'animal. Les pièces de bois prennent la forme d'un chevalet qui porte l'oiseau. Dans cette toile, tout se passe comme si l'oiseau était une toile ou par transposition le peintre lui-même déchiré par le chaos. Quand nous l'avons interrogé, le peintre a ajouté: "Ces pièces peuvent tout aussi former une chaise. Mais j'ai surtout voulu représenter sa majesté la charogne, la poésie dans la perte.", faisant ainsi référence au célèbre poème de Baudelaire poétisant sur la beauté de la laideur, ce qui explique la présence simultanée de la cendre et du blé dans la toile. Le grand dilemne entre les observateurs est de savoir si l'oiseau de la toile est mort ou uniquement blessé. Certains tiennent à trouver un oiseau agonisant tandis que d'autres insistent pour dire qu'il est mort. "J'ai le même problème que vous, dit Marwan Moujaes, je ne sais pas. Moi je le vois chanter." Le chant du cygne au moment de sa mort.


Croquis de l'oiseau