mardi 17 février 2015

Critique littéraire: Le Roi disait que j'étais diable de Clara Dupont-Monod, un roman multi-genre

"Encore une biographie", pense le lecteur des résumés du Roi disait que j'étais diable de Clara Dupont-Monod (Paris, Éditions Grasset & Fasquelle, 2014). Tout au plus peut-il penser qu'il s'agit d'un roman historique dont l'action se situe dans un contexte médiéval. Un lecteur non intéressé s'empressera d'oublier Le Roi disait que j'étais diable, prétextant: "Pas besoin de lire tout un livre pour connaître la vie d'Aliénor d'Aquitaine. Sa biographie est partout sur Internet". Aujourd'hui, le grand dilemme de l' (auto) biographie n'est pas la véracité des informations (à la portée de tous en un clic), mais bien le nouvel éclairage que l'oeuvre pourra braquer sur le personnage.

Biographie ? Roman historique ? Roman médiéval ? Nous pencherons plutôt pour classer cette œuvre parmi les romans familiaux et psychologiques. "Roman familial et psychologique?" s'interrogera mon lecteur. Eh bien oui.

L'intrigue et la véracité historiques sont secondaires dans ce récit, ce qui ferait la joie des détracteurs de l'Histoire: "Dans [ce roman], les prises de liberté sont nombreuses. (...) Que les historiens ne jugent ces libertés ni blasphématoires, ni hors de propos, mais bien comme le plein exercice de l'imagination qui s'enchante à combler les vides, en prenant appui sur l'armature chronologique" (chronologie, pp. 227-228). On le voit grâce à la retranscription des faits historiques succincte et accélérée: "Je t'ai sacrifié l'abbé Suger. J'ai promu ses ennemis. Mathieu de Montmorency a été nommé connétable. Raoul de Vermandois a repris sa charge de sénéchal". (p.106)

Le grand défi qu'a pu relever Le Roi disait que j'étais diable est de visser un roman psychologique et familial sur une trame historique. Le roman offre de saisissantes descriptions de sentiments. Ainsi, Louis VII, mari d'Aliénor d'Aquitaine, dit-il en parlant à sa femme : "Je voudrais crier à l'injustice. Jeter tes poètes au feu. Tomber à genoux et enserrer tes jambes. Que jamais tu ne partes. Que tu me regardes. Mais je me tais. J'ai trop peur de ton mépris" (p. 80). De son côté, Aliénor d'Aquitaine déclare à propos de son époux : "Hélas, Louis me fait honte. Il est derrière moi. [...] Un pèlerin. [...] Je n'ose même pas imaginer le spectacle qu'il offre. Par moi, il a goûté à la haine. Par lui, j'ai découvert la honte" (p. 150).

Le texte ne manque pas d'une certaine poésie, ce qui contredit les caractéristiques de la biographie. Clara Dupont-Monod ne se pose pas en historienne à la recherche méticuleuse de la vérité historique. Au contraire, elle va même jusqu'à incorporer dans son œuvre des extraits de la Chanson de Cercamon, de la Pastourelle de Marcabru, de la Chanson de Guillaume de Poitiers, de la chanson de Geoffrey Trudel des balades et d'autres médiévales… La prose même de Dupont-Monod a quelque chose de poétique : " La voici, celle qui possède dix fois le royaume de France. Celle qui chevauche comme un homme et ne craint pas le désir qu'elle suscite. Qui colore ses robes. N'attache pas ses cheveux. Porte des souliers pointus. Qui donne l'argent du royaume à des poètes venus d'en bas" (p. 59).

L'écriture fait alterner pour un même évènement deux points de vue différents, celui d'Aliénor d'Aquitaine et celui de Louis VII, relayés par le point de vue de Raymond de Poitiers qui sonne comme un épilogue à la fin du roman et fait le point sur la vie du couple royal. Un couple bizarre qui communique le plus souvent par discours différés, un couple où sévissent le malentendu et l'incompréhension mutuelle.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire